#8 – La lettre froissée, deux héroïnes face à face, deux revenantes chez les Rothschild, libre entretien.

  Deux amies très chères se sont prêtées au jeu de la lecture du dialogue
entre Lola et Miss Fletcher.

Dans le rôle de Lola, l’autrice Audrey Alwett (son blog: cliquez ici)
et dans celui de Miss Fletcher, la traductrice Alexandra Maldwyn-Davies. (ses coordonnées : cliquez ici)

Je les remercie de tout mon cœur.
J’espère qu’elles se sont autant amusées que moi…


VITE, LA VIDÉO:

Habituellement, je fais des entretiens vidéo sur ce blog.
Avec des personnages vivants, contemporains, des auteurs qui inventent des personnages.

Mais cette fois, j’ai reçu deux femmes très particulières. Elles ne sont pas contemporaines, elles ne sont pas vivantes, et elles ne sont même pas réelles. Elles jaillissent tout droit de l’année 1884.

Lola Deslys et Gabriella Fletcher sont les personnages principaux (avec Maupassant) de mon roman La lettre froissée.

1884, femme en rouge et lawn-tennis

Et miss Fletcher en est aussi la narratrice. C’est sous sa plume que le récit de l’enquête menée par Lola Deslys prend vie.

Je les ai rencontrées et interrogées pour vous il y a quelques jours.
Je voulais qu’elles nous parlent de leur vie, de leur rencontre et de la façon dont elles ont été amenées à résoudre le secret de la mort mystérieuse de Clara Campo.
Mais avec ce genre de caractères, il n’est pas facile de mener un entretien linéaire.
Elles n’en ont fait qu’à leur tête !

Nous étions tranquillement installées au milieu du jardin de la magnifique médiathèque, vestige de la richesse des hivernants à Cannes sous la IIIe République. La villa Rothschild, 1 rue de Noailles.

J’avais mis mon jeans rose, Lola avait revêtu sa robe d’apparat, rouge sang et décolleté plongeant, étalée en corolle autour d’elle,

tandis que Miss Fletcher avait préféré laisser de côté son costume de gouvernante pour une tenue sportive de flanelle blanche, très pratique pour les parties de lawn-tennis.

ALICE QUINN : – Je suis heureuse de rencontrer les héroïnes de ce roman que vous avez écrit, Miss Fletcher.

LOLA DESLYS : – Quel roman ? Boudi, Miss Fletcher, vous avez écrit un roman ? Mais pourquoi ne m’en avez-vous rien dit ?

MISS FLETCHER : – Je l’ai écrit en anglais. Vous n’auriez pas pu le lire. Et puis il n’est sorti qu’aux États-Unis. The crumpled letter, c’est son titre.

LOLA DESLYS : – Quelle cachottière ! Et de quoi il parle ce roman ?

MISS FLETCHER : – Gracious me ! De nous. De nous trois : vous, Maupassant et moi. Enfin, moi j’ai un petit rôle, bien sûr. Je raconte, c’est tout.

LOLA DESLYS : – Mais pourquoi les lecteurs seraient-ils intéressés par nous, Miss Fletcher ? Quelle idée farfelue.

MISS FLETCHER : – Eh bien, elle m’est venue quand vous avez trouvé le corps sans vie de… Clara… votre amie d’enfance… Clara Campo. J’ai voulu raconter comment vous avez résolu l’énigme de sa mort. C’était plus qu’une idée. C’était un besoin impérieux. Il fallait que je parle de cette histoire. Je voulais rendre à Clara sa place d’être humain dans notre monde. Les femmes de chambre des palaces sont transparentes…
 Je n’ai pas supporté la façon dont les autorités escamotent en permanence la vérité. Pauvre Clara.

LOLA DESLYS : – Un roman à énigme ? Ma foi ! Ce n’est pas une mauvaise idée. Dommage qu’il n’ait jamais été traduit en français.

ALICE QUINN : – Il l’est à présent puisqu’il sort cette année en France.

LOLA DESLYS : – Miss Fletcher ! Écrivain ! Pauvre créature ! Vous avez voulu faire comme Guy ?

MISS FLETCHER : – Good heavens ! Ah non ! Pas comme Guy. Suffit avec Guy ! Maupassant, toujours lui !
Je savais qu’il ne fallait pas vous le dire. Puisque j’ai écrit un roman, j’étais sûre que vous feriez la comparaison!  C’est lui l’écrivain, donc moi je n’ai pas le droit de… Eh bien oui, c’est ainsi. J’ai osé empiéter sur ses plates bandes ! J’ai pris ma plume pour écrire, moi aussi ! Et pourquoi pas?

LOLA DESLYS : – Vous êtes jalouse, peuchère ? Je n’ai encore rien dit pourtant ! Toujours cette façon de vouloir faire la compétition avec Guy. (Elle s’adresse à moi) Je ne sais pas pourquoi Miss Fletcher a toujours pensé que j’avais un faible pour Maupassant. Il faudrait que je sois bien niquedouille ! Écoutez, Miss Fletcher. Ce n’est pas ma faute, mais enfin… Les hommes écrivent mieux que les femmes. C’est un fait avéré. Si vous aviez eu un mari, je doute qu’il vous aurait permis d’écrire. Les femmes font de mauvais écrivains. Ce n’est pas moi, ce sont les éditeurs eux-mêmes qui le disent !

MISS FLETCHER (ironiquement) : – Mais bien sûr !

LOLA DESLYS : – D’ailleurs, voyez comme il y en a peu. À part George Sand, bien sûr…

MISS FLETCHER : – En France, peut-être, mais en Angleterre, nous en avons beaucoup. Voyez Jane Austen, les sœurs Bronté, Emily Clark, Dinah Craik, George Eliot, Elisabeth Gaskell, Ouida… Je m’arrête là car la liste est longue ! Et je ne parle même pas de nos poétesses !

Lola Deslys me prend à partie.

LOLA DESLYS : – Que des illustres inconnues, vous avez remarqué ? C’est d’un vlan ! Expliquez-lui, vous, que c’est peine perdue. Une femme ! Écrire un roman ! Quelle fantaisie !

ALICE QUINN : – Euh… Il existe quelques prix Nobel de littérature qui sont des femmes…

MISS FLETCHER : – Ce sont toujours les femmes qui dénigrent le plus les autres, femmes, n’est-ce pas madame Quinn ? Est-ce toujours pareil au XXIe siècle ?

ALICE QUINN : – Parfois, en effet… Donc vous êtes les personnages principaux de ce roman. Si vous le voulez bien, nous allons commencer l’entretien… Voilà ma première question : comment vous êtes-vous rencontrées toutes les deux ?

LOLA DESLYS : – Je trouve incroyable qu’on ait le droit d’entrer, comme ça, chez les Rothschild. Vous êtes sûre qu’ils ne vont pas nous chasser de ce jardin ?

MISS FLETCHER : – Mais enfin, mademoiselle Lola. Puisque madame vous dit que la propriété appartient à la mairie et que c’est ouvert au public.

LOLA DESLYS : – Je me méfie. J’ai tellement subi leur mise à l’écart, que je me demande ce que ce prétendu passe-droit me réserve.

ALICE QUINN : – Si ça peut vous rassurer, il existe de nombreuses propriétés privées à Cannes extrêmement bien gardées, où nous ne pourrions pas entrer !

LOLA DESLYS : – Ah, donc, les choses n’ont pas changé à ce point ! La vapeur a remplacé les chevaux, mais à part ça… Les êtres humains sont bien les mêmes… Les plus riches sont protégés et les autres peuvent mourir dans la rue… Nous avons vu de nombreux mendiants en venant jusqu’ici. Moi qui pensais que le progrès effacerait les différences sociales trop cruelles.

MISS FLETCHER : – Oh dear ! Je ne pense pas que madame Quinn ait envie de discuter avec nous des théories anarchistes dont votre père vous a farci la tête, mademoiselle Lola. Essayez donc de ne pas vous montrer distraite et de rester concentrée sur les questions posées… (elle se tourne vers moi) Vous vouliez savoir comment nous nous sommes rencontrées ? Eh bien… Un soir, je suis tombée, complètement par hasard, sur une petite annonce. On demandait une gouvernante. Je me suis présentée le lendemain. Voilà. Enfin… voilà… En réalité, je suis arrivée au beau milieu d’une scène de ménage affreuse. Truly dreadful ! Un peu comme un chat dans un jeu de quille.

LOLA DESLYS : – Ah oui ? Vous avez assisté à notre dispute quand Eugène m’a plaquée ? Vrai ? C’est d’un farce ! Je ne savais pas que vous étiez dans les parages depuis longtemps…

MISS FLETCHER : – Je me demandais vraiment ce que j’étais venue faire là. J’ai attendu dans la rue que ça se calme. Ce monsieur est finalement parti avec sa calèche, ses valets, quelques malles… Quand j’ai vu que la voie était libre, je me suis faite annoncer.

ALICE QUINN : – Et vous saviez quelle était la… euh… profession de… mademoiselle Lola ?

MISS FLETCHER : – Oh ! My gosh ! No ! Je l’ignorais totalement. Bien entendu, ce n’était inscrit ni sur l’annonce, ni sur la porte de la maison !

Lola Deslys éclate de rire.

LOLA DESLYS : – Vous alors ! Vous avez vu, madame Quinn ? Elle semble sérieuse, mais en fait, c’est de l’humour anglais ! Comme si j’allais crier sur les toits « Lola Deslys, femme galante, grande horizontale, vit de ses charmes. Entrez pour connaître nos promotions !!! » Je n’ai pas envie de finir au dépôt !

ALICE QUINN : – Mais vous avez quand même accepté la place, Miss Fletcher ? Pourtant, on voit bien que vous avez de l’éducation. Vous auriez pu trouver mieux. Pardon, mademoiselle Lola, je voulais dire… Trouver…  dans une famille bourgeoise et convenable.

MISS FLETCHER : – Oui, j’ai de l’éducation, comme vous dites. C’est que je suis issue de la noblesse anglaise. Je suis venue au monde sur l’île de Man et mes parents étaient bien nés. Mais nous avons tout perdu. Mon père nous a ruinés. J’ai dû me placer comme préceptrice chez des connaissances. Des amis aristocrates. Ce fut ma première déchéance. (moue amère) Je suis ce qu’on appelle une déclassée, madame Quinn. So… Un peu plus, un peu moins…

LOLA DESLYS : – Tout de même, Miss Fletcher ! Travailler pour une femme de mauvaise vie, c’est grave. (Lola Deslys se tourne vers moi pour m’expliquer) J’ai essayé comme j’ai pu de la dissuader, de lui expliquer que si elle se compromettait à travailler pour moi, elle ne pourrait plus jamais revenir en arrière. Mais elle s’est accrochée à cette place comme une arapède. Je n’ai jamais compris pourquoi.

À la manière dont Miss Fletcher rosit légèrement, je devine qu’il y a là un secret plus douloureux, qu’elle veut garder masqué.

MISS FLETCHER (provocatrice) : – Et si c’était un choix ? Et si justement je n’avais pas voulu avoir la possibilité de revenir en arrière ? Et si j’avais eu mes raisons pour rester aux Pavots ?

ALICE QUINN : – En vous entendant, je réalise à quel point vos situations touchent le délicat sujet de la place des femmes dans notre société. Et à quel point les choses ont changé seulement en apparence, mais peu dans le fond…

MISS FLETCHER : – Vraiment ? Pourtant, voyez comme vous êtes habillée ! En pantalon ! Il est rose, bien sûr, mais tout de même… Quelle idée d’ailleurs, je déteste le rose ! C’est d’un mièvre! Enfin, je vois toutes ces femmes en pantalon et je me dis que j’aurais bien aimé, moi… Porter culotte… C’était interdit…

Elle s’allume un cigarillo.

ALICE QUINN : – Donc, Miss Fletcher, c’est ainsi que vous avez travaillé pour Mademoiselle Lola Deslys. J’imagine que ce changement dans votre vie a dû être ébouriffant.

MISS FLETCHER : – Oui. Aux Pavots, tout était à l’opposé de ce que j’avais connu. Darnation ! On ne parlait pas, on hurlait. Les couleurs étaient vives. On passait des rouleaux sur le gramophone. On prenait des bains ! On buvait du champagne à l’excès. Et cela même quand l’argent manquait. Tout était en permanence too much. Même le chat, Sherry, avait le droit de monter sur la table ! J’ai jeté aux orties ma vie d’avant. Celle de la discrétion, où tout est feutré et hypocrite. Et je suis devenue en même temps gouvernante d’une courtisane et cocher. Oh my my ! Si vous aviez vu le landau jaune canari dernier cri qu’elle avait ! Je n’ai pas su résister. J’étais si fière de le conduire sur la Croisette tandis qu’elle paradait à l’arrière !

LOLA DESLYS : – C’est ainsi que vous voyez les choses, Miss Fletcher ? C’est drôle, je ne vois dans ma vie qu’une succession d’humiliations, de cruels manques, d’impairs cuisants. Qu’il faut sans arrêt contrer, braver, dépasser. Une lutte perpétuelle.

ALICE QUINN : – C’est amusant, quand on lit le roman, on ressent l’inverse. Miss Fletcher est inquiète, soucieuse, craintive. Alors que vous, mademoiselle Lola, vous y êtes toujours positive, comme on dit maintenant.

LOLA DESLYS : – C’est la preuve que Miss Fletcher ne sait pas écrire. En réalité, je suis une anxieuse de naissance. Et Miss Fletcher a ce flegme tout britannique qui fait qu’elle ne s’alarme jamais de rien. Vous m’excuserez, madame Quinn, mais je vais d’abord lire le roman avant de continuer l’entretien. Je veux vérifier qu’elle n’ait pas dit trop de bêtises.

MISS FLETCHER : – How awful ! Je préférerais que vous ne le lisiez pas. Je ne suis pas sûre que vous ferez bon usage de ce que vous allez apprendre sur moi. Je m’y livre un peu trop.

LOLA DESLYS : – Peu me chaut votre préférence, Miss Fletcher. Je vais aller de ce pas jusqu’à un bon cabinet de lecture pour en acheter un exemplaire. Et si leur stock est épuisé, je le téléchargerai en numérique. C’est bien ainsi qu’on dit, non ? Il paraît qu’en moins d’une minute, on peut commander, acheter et recevoir un livre sur une sorte de boîte, d’ardoise, de tablette. Et ensuite on lit sur cette boîte.

ALICE QUINN : – Oui, vous avez très bien résumé.

MISS FLETCHER : – Moins d’une minute ? My eye ! J’ai des doutes…

ALICE QUINN : – Essayez…

Je leur ai laissé ma tablette le temps d’aller chercher des boissons au distributeur dans la médiathèque. Quand je suis revenue, elles avaient disparu et ma tablette gisait sur le gazon, à côté de ma veste.

Retrouvez les articles autour de La lettre froissée sur le blog :

#1 La lettre froissée, il était une fois un roman policier historique sur la Riviera, à la belle Époque…

#2 La lettre froissée, Prostitution et Courtisanes au XIXe siècle, 1/2: la fille publique.

#3 La lettre froissée, Prostitution et Courtisanes au XIXe siècle, 2/2 : la courtisane.

#4 La lettre froissée, La courtisane, la déclassée et l’écrivain, 3 personnages en quête d’identité

#5 La lettre froissée, le Jour J ! C’est aujourd’hui !

#6 La lettre froissée, Cannes, en 1884… Promenez-vous dans les lieux du roman…

#7 La lettre froissée, à vos plumes d’amour… Concours d’écriture littéraire… Amusez-vous…


 

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Premier tome d’une trilogie, policière historique,
La lettre froissée est un roman se déroulant à Cannes en 1884

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